Pour avoir l’impression d’être actif au sein de l’association, Florence m’a gentiment suggéré de raconter ma nouvelle vie, celle arrivée par hasard, au détour d’un hiver 2006.
En cherchant dans mes souvenirs j’avais raconté çà comme çà…
Jadis, quand j’étais skieur, chaque début de saison d’hiver était ponctué du même scénario. Au crépuscule d’une fraîche soirée de décembre je m’équipais en skieur de fond et, plein d’espoir et de fougue, je déboulais sur la 21 km des Saisies. Les cristaux scintillaient sous la lune, la trace était lisse et poudrée comme une peau de pêche à peine cueillie, et le crissement de mes pas sur la neige froide suffisait à ma joie. Une pleine expiration suspendait un nuage au dessus de la trace et me donnait le signal du départ.
Quelques heures plus tard je rentrais fourbu et hagard, dégoutté de ce sport pour toute une saison, absolument sûr que j’avais pris la bonne voie en choisissant le ski alpin. Le mal me reprenait parfois en mars. Là, l’ambiance champêtre des pistes, avec les pommes de pin, les écureuils, les sacs de pique-niques des promeneurs du dimanche, tendaient à me faire croire que ce n’était pas un sport mais plutôt un art de vivre, pas très loin des beatniks et des babas cool. Pour la bonne marche de ma carrière je devais alors rester loin de ce monde sans rigueur et garder les yeux rivés sur le chronomètre entre les piquets de slalom. Je me suis longtemps demandé où trouvaient-ils du plaisir à tourner en rond dans la forêt, on m’a rétorqué : où est le plaisir de descendre sans rien faire.
Et puis le temps de la compétition a passé… Mais la traditionnelle sortie du mois de décembre est restée. Elle est devenue mon oxygène, un véritable havre de paix juste après le travail. De jour en jour, la patience, l’endurance, la résistance me sont devenues coutumières. Les kilomètres sont devenus autant de paliers de décompression du stress. La maîtrise (relative) du geste du skating acquise par des années de pas du patineur alpin, m’ont même autorisé un jour à vouloir aller plus vite, aller plus haut, aller plus loin. Eh oui, c’était plus fort que moi, il fallait que je fasse la course !!. « Tiens d’ailleurs dans une semaine il y a l’étoile des Saisies, Tu vas la faire ? ». Par vanité j’ai dit oui.
21 km, puis 42, me voilà reparti pour un tour ; Un jour la Transju, une autre fois la Vasa , de vieux réflexes sont réapparus. Aller au bout de soi même, se surpasser, combattre. Mais comme le temps s’étire sur plus de deux heures, il laisse la place au flux de tes pensées. Avant, pendant les deux minutes d’une descente, je savais ne penser à rien. Je savais devenir instinctif, animal. Un fondeur, pendant toute ces heures d’effort, doit au contraire gérer et digérer son intérieur par un travail sur soi. Voir et trouver sa motivation, aller vers la sérénité. Quel pied !
Et puis les saisons ont passé et pris par le rythme j’ai aussi écrit çà…
Une brume qui se dissipe pour laisser la place à un soleil radieux, des athlètes qui s’échauffent dans le silence de la vallée, un dossard que l’on ajuste à sa taille, ce sont les premières images qui me viennent à l’esprit pour parler de la Foulée Blanche. En fermant les yeux je revoie la scène, le cœur régulier, je sens la course qui s’éveille. La foule d’initiés est de plus en plus dense, les amis qui se retrouvent, les champions que l’on entrevoie, petite panique pour retrouver les lignes de départ et mon électrocardiogramme s’emballe. Après le décompte les hélicos tracent la route, comme une flash mob bien réglée, chacun des participants skate en rythme et prend sa place dans le long serpent qui descend la vallée, limpide comme de l’eau de roche. La trace grimpe, s’élève et commence ses circonvolutions sur le plateau de Gèves, c’est l’heure de puiser dans les réserves, de s’accrocher à une silhouette, de se faire mal, de s’écouter respirer. Si le ski alpin était du football alors le ski de fond c’est du rugby. Tenir la technique, économiser les gestes, la solitude me prend, là, au milieu de la forêt. L’esprit vagabonde, je ne dois pas me perdre dans mes idées, rester lucide, garder le contact avec la réalité. Les ravitaillements et les encouragements s’enchainent. La glisse change de pôle, les pourcentages changent de signe, je redescends sur Autrans, l’instinct de compétition jubile dans une descente magistrale et c’est la joie toute simple de l’effort jusqu’à la ligne d’arrivée. J’ouvre les yeux, chaque année je voudrais revenir pour vivre ça.
J’ai même vu le diable…
C’est la mascotte de Bessans, le diable en personne, qui nous accueille pour la 29ème édition du marathon. L’atmosphère qui s’annonçait glaciale s’est réchauffée en cours de matinée pour devenir supportable au moment du départ. Tout de suite c’est un train d’enfer pour les premiers qui n’ont pas le temps d’apprécier le site tout enneigé. Victoire en 2H56 pour Ivan PERILLAT le terrible déjà vainqueur l’année dernière, dans un sprint endiablé. Derrière, la neige fraîchement damée brûle les cuisses, martyrise les bras, et la litanie des crampes, des fringales, des coups de barres, des courbatures s’étire tout du long des 42 kilomètres. Pas de un, pas de deux, les courageux jusqu’aux derniers rejoignent l’arrivée, aiguillonnés par le trident sport, fierté, dépassement de soi. Le chapelet des 365 concurrents arrive petit à petit en terre promise et après avoir regardé la liste du classement, se jette vers un bol de soupe et un plat de pâtes à faire damner un saint. On reprend des forces et on refait la course, il faudra bientôt rentrer, demain c’est le travail qu’il faudra affronter.
Parfois la route atteint un but et la Transju 2012 en était un…
Il y a des défis dans la vie qu’il faut relever et la participation à la Transju 2012 en était un de taille. Entre euphorie et solitude, je dois dire que je suis passé par tous les états d’âme tout au long des 76 km, à travers les longues vallées du Jura, juché sur mes deux planches de skating. Euphorie quand au départ les 2500 participants s’élancent comme un seul homme à l’assaut de ce monument du sport, solitude quand, perdu au milieu de la plaine, on cherche la trace dans la neige soufflée. J’ai aussi vécu des moments de découragement comme par exemple au sommet du Risou quand j’ai fixé lourdement le panneau des 40 km restant, des moments de doute avec la tentation d’abandonner quand le vent soufflait de face et que la neige ne glissait pas. Il y a eu des moments d’ivresse quand la foule vous encourage et vous transporte dans la montée de l’opticien des Rousses, des moments de douleur quand les crampes vous oblige à stopper l’ascension de la Célestine. Pendant plus 4 heures il y a surtout de petits moments insignifiants, vécus à l’économie de chaque respiration, de chaque geste, exténué, groggy, on marche sur les pas de celui qui est devant vous. Enfin il y a un grand éclat de sérénité quand, à quelques kilomètres de l’arrivée, on sait que l’on ira jusqu’au bout. Une émotion, un plaisir, une joie toute simple, une consécration pour être dans la famille des fondeurs.
… et parfois avec, le 10 de der, il faut clôturer la saison…
Avec l’étoile des Saisies, je clôturais ma dixième épreuve de ski de fond longue distance de l’hiver. Mon parcours a commencé par les 42 km du Marathon de Bessans, puis vers Autrans pour 42 km à la Foulée Blanche, avant de faire une course d’équipe de 45 km en compagnie de Sylvain Guillaume à la Chapelle des Bois dans le Jura : L’Envolée Nordique. Je revenais alors au Grand Bornand pour les 21 km de la Bornandine, avant de repartir pour la mythique Transjurassienne et ses 70 km dans le froid et le vent. Pour récupérer ( !) je suis allé en Maurienne, à Sardière pour les 30 km de la Trace du Monolithe et j’enchaînais à Champagny le Haut pour la première édition du Marathon du grand bec et ses splendides 42 km dans le parc de la Vanoise. Le week end suivant je retrouvais la Haute Savoie et la station du Praz de Lys-Sommand pour les 30 km de la Traversée de la Ramaz, et ensuite la Savoie pour les 30 km de La Savoyarde sur le superbe plateau de la Féclaz et du Revard. J’ai fais l’impasse du Marathon des Glières par peur de la météo et je finissais donc par les 42 km de l’étoile des Saisies sur un nouveau parcours innovant. Une saison de presque 400 km, dossard sur le dos, occupant quasiment chaque dimanche de l’hiver, avec les compagnons d’échappées belles, Yannick, Pascal, Karl et Delphine. Une saison placée comme d’habitude sous les signes du rire et du sport dans notre bus magique « de l’équipe de France ». La part belle à la joie de vivre et à l’émotion avec des moments dans le dur, dans le dépassement de soi, mais toujours avec le plaisir de ce sport devenu très populaire.