Derrière moi, après avoir garé leur monture dans le parc, des chevaliers venus de tous les horizons montagneux de France et de Navarre arrivaient d’un pas leste et sans armures mais avec cette fraternité bien particulière d’anciens athlètes de haut niveau. Comme l’accoutumée, puisqu’il n’y a en ces lieux que vos pairs, chacun a pris soin de mettre de côté son palmarès afin de ne blessé personne. Après avoir gravi le talus, il n’y avait pas de pont-levis mais un porche qui donnait sur une grande salle d’arme toute blanche où étaient disposés du café et des croissants pour nous faire patienter. Rangé en désordre, entre une bouchée et une gorgée, on se salue avec référence et respect mais derrière les mots de nos quotidiens, nos regards ont la couleur de la complicité.

Avant de rentrer dans la salle aux trésors, il faut montrer patte blanche, se trouver dans la liste des convives et, moyennant finances, porter les armoiries de cette confrérie si particulière. Une fois le précieux sésame en poche et le badge bien accroché, la salle aux trésors vous est ouverte.

A peine entrée, ce qui s’impose à vos yeux ce sont toutes ces personnalités assises côte à côte et disposées comme autant de montagnes bien rangées. Des Alpes aux Pyrénées, des sautoirs Nordiques aux carats des Biathlètes, ce sont tous des bijoux de simplicité, taillé dans la matière brute des sports d’hiver, révélés par des carrières somptueuses. Chacun brille, estampillés d’un même état d’esprit. En regardant de plus près, j’y vois des diamants translucides de timidité, des rubis rouges d’excentricité, des émeraudes encore vertes de rage, des aigues-marines de fraîcheur, des topazes reconnues sur toutes les pistes de ski du monde, des saphirs qui chantent l’histoire du ski Français depuis près d’un siècle.

On devine au-dessus de ces montagnes, dans le halo feutré de ce grand salon, le reflet de leurs dizaines de Médailles Olympiques, de leurs centaines de victoires, de leurs milliers de podiums en Coupe du Monde. Sans faire de distinction entre les époques ni entre les disciplines, ce butin de campagne hors norme est réuni dans une joyeuse audience.

Je suis installé en bout de ligne et presque au dernier rang mais nous sommes plus de 100 à contempler sur l’estrade le conseil d’administration qui annonce les festivités. Après les traditionnelles ablutions comptables, le comité rappel les protections et les chaînes de solidarité qui ont été déployées pour entourer et aider avec les moyens du bord ceux qui n’ont pas eu notre chance. Blessures, accidents, santé, on aimerait ne laisser personne de côté mais partagé entre générosité et travail la côte de maille est compliquée à ajuster.

Rappelant que ce rôle devrait revenir à un état qui protège ses sportifs, une joute se fait jour à propos de la croisade lancée par les filles de l’équipe de France de vitesse. Le crowndfounding proposé dans un clip osé a permis de partir en hémisphère Sud pour s’entraîner mais cela pose question sur l’état des finances de la maison mère FFS. Chacun défendant son territoire, les uns réclamant plus d’autonomie, les autres plus de confiance, le choc fait monter les protagonistes sur leurs grands chevaux puis les laisse repartir avec leurs égos dos à dos.

Sans prendre parti l’assemblée passe ensuite à l’adoubement des nouveaux entrants. On applaudit les petites notes d’humour et le palmarès de ces champions venus grossir nos rangs et rendre l’AISF actuelle et bien vivante. Cependant, si je puis me permettre, je crois qu’il faut que cette cérémonie prenne une certaine tradition à l’avenir. Ski sur l’épaule? Tenue traditionnelle du champion? On pourrait imaginer cette entrée dans les ordres de l’association avec plus de fastes.

J’attends maintenant avec impatience le deuxième tableau qui est consacré cette année au jubilé de Portillo où en l’an 1966 nos aînés y ont écrit un record encore inégalé, remportant 16 médailles sur 24 de ces Championnats du Monde absolument unique. Après de brèves présentations sans titres de gloire ni vanités, Marielle et Annie passent en revue leurs faits d’armes. Je les imagine comme deux gamines jouant au chat et à la souris avec les médailles, se chamaillant le soir dans leur chambre de cette station de ski très spartiate aux confins du Chili. Je les vois aujourd’hui comme un vieux couple, en train de raconter avec malice des carrières magiques à nos yeux et je me délecte de ces succulentes anecdotes.

Tout cela me met en appétit et il faut passer à table. Le verre délie les langues, les légendes et la mythologie du ski Français s’enrichissent encore de quelques exploits surhumains, quand soudain, au milieu des histoires du passé, parmi les souvenirs embellis, j’y entend une idée plus forte glissée sur le ton de la confidence, une pensée solidaire, née au premier jour de l’association, imaginée par des coureurs qui se sont retrouvés seuls au lendemain d’une fratricide bataille fédérale: il paraît qu’à l’origine l’AISF voulait être une sorte de grand frère pour défendre les coureurs. L’Association voulait être le chevalier blanc du ski Français.

Dans cette pensée brillante qui ne demande qu’à grandir depuis 50 ans, je me demande à quand un siège permanent au sein de la FFS, à quand une présence militante pour dire aux jeunes qui portent le drapeau et notre passé sur les épaules que nous sommes sa famille, à quand le partage des expériences, le témoignage, la défense de la veuve et de l’orphelin?

En cet instant, je me rends compte que ces grandes gueules dont je suis admiratif depuis tout petit sont surtout de grands cœurs. Je ne me suis pas trompé en voulant leur ressembler depuis mes premières descentes, parce qu’il est là le véritable trésor de l’AISF, dans le cœur de tous ces immenses champions.

La mine réjouie et la poignée de main chaleureuse, emportant quelques souvenirs supplémentaires, il est temps pour moi de rejoindre ma montagne natale en leur disant merci jusqu’à nos retrouvailles à l’année prochaine »